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La fascination spirituelle de Paul Simon

L’inspiration sonore derrière l'album « Stranger to Stranger »


Pendant qu’il attend l’arrivée du guérisseur religieux, Paul Simon est supposé méditer tranquillement les yeux fermés.

Au lieu au lieu de cela, il jette un coup d’œil aux alentours.

« Je veux voir ce qui se passe, raconte Simon, se rappelant de sa visite à la maison de Dom Ignacio de Loyola à Abadiânia au Brésil où il a subi l’été 2014 une opération spirituelle effectuée par Joao Teixeira de Faria, médium guérisseur spirituel, plus connu sous le nom de Jean de Dieu (Joao de Deus).


Finalement, Jean de Dieu entre dans la pièce ou Paul Simon et environ une douzaine d’autre pèlerins – dont certains sur des brancards – attendent avec des degrés divers de patience d’anxiété et de foi.


« Il parle en portugais – je suppose une prière – et ensuite il s’en va », dit Simon.Et puis tout le monde se lève et quitte la pièce et ce moment-là je demande à mon guide : « quand est-ce que l’opération va avoir lieu ? « , il répond « non non c’était ça, vous l’avez eu ». « … Je n’ai rien senti ».

Pendant qu’il était au Brésil – un voyage d’une dizaine de jours, qu’il a effectué sous la pression de sa femme la musicienne Edie Brickwell, qui était venue à Abadiânia pour sa propre opération chirurgicale spirituelle, Simon a commencé à écrire le morceau Proof of Love (preuve d’amour), un morceau long de 6 minutes, qui est sans nul doute la pièce centrale de son nouvel album magistral.

I trade my tears
 to ask the Lord for proof of love 
if only for the explanation 
that tells me what my dreams are made of

J’échange mes larmes pour demander au Seigneur 
 une preuve d’amour 
 si seulement c’était l’explication 
qui me dit ce dont mes rêves sont faits



Stranger to stranger, son douzième album solo, est riche de cette façon de raconter si vive et singulière qui a permis il y a longtemps à Paul Simon de gagner sa place au Panthéon de la musique américaine. Il invite l’auditeur à un voyage sonore avec plus qu’un simple parfum d’exploration spirituelle – un thème familier à ceux qui écoutent attentivement sa musique depuis près d’un demi-siècle.





Une conversation musicale d’un demi-siècle


Exprimée dans sa musique, la spiritualité de Simon est expérimentale, ce que le théologien allemand Rudolf Otto a pu appeler « numineuse » (Note du traducteur : on pourrait dire rare ou sacrée), elle exprime la connexion à l’Autre Sacré qui est profondément personnelle extraordinaire dans le terme littéral du mot. Dans son ouvrage Les variétés de l’expérience religieuse le philosophe William James aurait pu la décrire comme mystique, comme dans cet extrait « les États mystiques apparaissent à ceux qui les expérimentent comme étant aussi des états de connaissances… Illuminations, révélations, pleines de signification et d’importance qui sont tous inarticulés même s’ils persistent.


C'est aussi, dans un sens, ineffable, une conversation sur des expériences transcendantes qui se déploie autant dans le son que dans les mots réels que Simon chante.



Depuis les années 60, le dialogue musical de Paul Simon avec son public à été une aventure à travers les rue violentes du New York City d’avant l’époque Bloomberg, dans un bus à travers l’Amérique, avec une jeune mariée en fuite, dans un township de Sud Afrique du Sud, à Tchernobyl, l’Amazone, la paternité, le Sud profond, les hauts et les bas de l’amour qui souffre, les questions à propos de la mortalité et des rêves de l’après-vie.


Cette conversation (et aventure) continue avec l’album Stranger to Stranger, au cordon violet d’entrée d’un Night Club, avec un ange de la rue sans domicile fixe, aux urgences de l’hôpital, au bord du fleuve, au chevet d’un insomniaque, et un village au centre du Brésil que certains pourrait décrire comme un lieu peu épais où le voile entre le monde et ceux qui se situent au-delà est comme un tulle transparent.


Paul Simon qui vient d’avoir 75 ans cette année n’avait pas fait le voyage pour voir Jean de Dieu parce qu’il était malade. En fait, il est plutôt en très bonne forme mais il a souffert de violents cauchemars pour la plupart de sa vie et durant les mois qui l’ont amené à faire un pèlerinage improbable, les mauvais rêves ont été de plus en plus fréquents, parfois une ou deux fois par semaine.


« Je donnais des coups de pied et des coups de poing durant mon sommeil », nous a raconté Paul Simon. Sa femme Eddie lui disait : « tu ferais bien d’aller là-bas ».

Il a voyagé seul au Brésil, est descendu dans une chambre simple, à la Posada, un lieu d’hébergement affilié au ministère de Jean de Dieu. Il n’avait pas emporté grand-chose avec lui, quelques livres, son ordinateur portable au cas où il voudrait écrire quelque chose et son téléphone portable, qui lui était à peu près aussi utile, dans cette contrée perdue de la Abadiânia, qu’un pass Navigo de métro.


Coupé du monde et largement déconnecté de tout réseau téléphonique ou Internet comme c’est la coutume pour les visiteurs, le chanteur, habillé de blanc, avait rejoint les files de gens qui attendaient une audience avec le guérisseur.

Pas de traitement VIP. Pas de personne pour l’accompagner et pas de guitare.


Votre souffrance n’est pas moins importante


Depuis plus de 30 ans, des pèlerins du monde entier sont venus à Abadiânia pour chercher une guérison miraculeuse auprès de Jean de Dieu qui n’a pourtant aucune aucune formation médicale et seulement deux années d’éducation scolaire. Il est peut-être surtout connu pour pratiquer des opérations chirurgicales physiques avec des instruments rudimentaires des forceps un simple scalpel, une pince à épiler ou même avec ses mains nues pour retirer les tumeurs,gratter le globe oculaire et retirer diverses viscères par le nez.



Le médium guérisseur-spirite Jean de Dieu


Tout cela sonne comme quelque chose de plutôt horrible, comme le prouvent divers documentaires vidéo qui ne sont pas destinés aux gens sensibles mais les témoignages attestent que les patients expérimentaient de très faibles saignements ou douleurs malgré l’absence d’anesthésie même locale.


« J’attendais dans la queue et je me suis dit que quelque chose n’était pas juste, j’ai vraiment l’impression que je n’ai rien à faire ici, » se souvient Paul Simon.

Puis j’ai pensé que ma mère serait probablement furieuse que j’y sois allé et mon père penserait probablement que j’étais idiot mais malgré tout, j’ai attendu, » a-t-il dit.


La Casa à Abadiânia (Brésil)

La maison qui s’appelait la casa était pleine de pèlerins – bon nombre d’entre eux étaient handicapés, visiblement malades et ceci incluait des patients cancéreux souffrant des effets de la chimiothérapie. « Et me voilà, moi qui ne suis pas malade mais je suis là, si j’ai quelque chose à demander, je demanderai pourquoi j’ai eu ces violents cauchemars depuis que j’ai 4 ans. »

Votre souffrance n’est pas moins importante que celle de n’importe qui d’autre. Ce n’est pas comme si en traitant votre souffrance, quelqu’un d’autre allait obtenir un soulagement moins important. Jean de Dieu

Après son opération chirurgicale spirituelle, Paul Simon est retourné à La Posada où il a dormi pendant 18 heures. Durant son séjour au Brésil, Paul Simon a dit qu’il méditait sur ses cauchemars, en explorant dans son esprit ce qu’il voyait et les personnes qu’il voyait dans ses rêves récurrents qui prenaient souvent place dans et autour de sa maison d’enfance à New York.


« Ils disent qu’il y a certaines personnes, qui en quelque sorte, s’accrochent à vous et elles reviendront dans le rêve, » nous a dit Paul Simon. « Elles veulent quelque chose de vous et c’est difficile de s’en débarrasser ». Et si vous voulez commencer à vous débarrasser d’elles, vous répétez cette prière : « je suis désolé – pardon – je vous aime – merci, et ensuite vous coupez mentalement la corde. Au fond ce que vous faites, c’est de leur dire au revoir. (Note du traducteur : il s’agit du mantra du Ho’oponopono)


Quand il est retourné à la Casa pour la deuxième fois, Jean de Dieu a invité Paul Simon à rejoindre un groupe de pèlerins qui s’appelle le courant (the current) et qui encadre la modeste plateforme où le guérisseur voit ses patients et médite ou prie durant des séances de 3h pendant qu’il attendait son tour pour une autre consultation de guérison.

« Finalement, c’est mon tour d’avancer dans la file, je suis la dernière personne qu’il voit et je dis à mon guide : « Ecoute, je ne veux rien, il y a des gens ici qui sont vraiment malades je vais bien. J’ai des mauvais rêves mais je vais bien. Je ne veux rien. »


Un traducteur explique alors à Jean de Dieu ce que Paul Simon a dit et le guérisseur lui répond : « Non, ta souffrance n’est pas moins importante que celle de n’importe qui, ce n’est pas parce que nous traitons ta souffrance que quelqu’un d’autre va être moins soulagé. » Il prend ma main et me dit : « tu es un fils de la Casa, tu reviendras ici trois fois et tu seras toujours le bienvenu. Et voudrais-tu nous jouer un de tes morceaux ? »

La requête l’a surpris mais il était d’accord, quelqu’un lui a passé une guitare il a commencé à chanter le seul morceau qui lui est venu à l’esprit, son morceau fétiche de 1969 le son du silence (The sound of Silence).


Il y avait un peu près de 200 personnes rassemblées dans 3 pièces de la Casa quand Simon a commencé à se promener de chambre en chambre en chantant, nous raconte-t-il. Au fur à mesure que j’allais vers les gens, certains commençaient à pleurer certains tombaient, je me suis dit : « Waouh, il y a une énergie considérable qui arrive et que je ne comprends pas et ça passe à travers moi mais je ne sais pas ce que c’est et personne ne m’en a parlé. Je ne sais même pas si ça fait du bien à quelqu’un. C’est vraiment fort et j’ai peur d’être trop près des gens parce que plus je m’approche plus ils se mettent à trembler, » se souvient-il.


« Puis j’ai commencé à me déplacer vers les patients de chimiothérapie et je les ai laissé pleurer pendant un moment. Il y a quelque chose qui me dit que c’est ok. Quoi que ce soit, je suis simplement en train de jouer "The sound of silence". Je vais dans l’autre chambre et la même chose arrive : des gens tombent, ils commencent à pleurer. Je finis le morceau et je tends la guitare à quelqu’un et je pars, » dit-il. « C’est ce qui est arrivé je ne sais pas comment le décrire ce n’était pas mauvais ce n’était pas bon c’était je ne sais pas ce qui est arrivé je n’avais pas expérimenté cela auparavant. »


Ce grand truc énergétique m’arrive, que je ne comprends pas et ça passe à travers moi. Paul Simon

Paul Simon comme médium musical


De retour aux États-Unis, Simon a continué son travail sur l’album Proof of love ( preuve d’amour), le morceau qui a le thème le plus spirituel sur l’album, dit-il, un morceau fortement chargé d’images et d’allusions spirituelles.


I ask the Lord 
 For proof of love
 Love is all I seek
 Love is all I seek
 and when at times my words desert me
 Music is the tongue I speak
 Silent night
 Still as prayer 
Darkness fills with light
 Love on Earth is everywhere

Je demande au Seigneur 
 Une preuve d’amour 
L’amour est tout ce que je cherche 
 L’amour est tout ce que je cherche
 Et quand parfois les mots me quittent
 La musique est la langue que je parle
 Nuit silencieuse Calme comme une prière
 L’ombre rempli avec la lumière 
L’amour sur terre est partout





L’expérience de Simon avec Jean de Dieu, un personnage controversé qui prétend ne pas avoir de pouvoir par lui-même mais que Dieu agit à travers lui (et l’aide de quelques esprits de guérisseurs du passé) pour guérir les gens physiquement mais pas seulement – l’a affecté d’une manière qu’il n’avait pas imaginé et qui continue d’agir. Il a refusé de dire ce qui avait motivé sa femme avec laquelle il est marié depuis 24 ans, à rendre visite à Jean de Dieu. Mais Simon a déclaré : « elle a eu une très forte réaction. Plusieurs choses mystiques lui sont arrivées, mais elle est plus branchée que moi sur ce qui est mystique. »


Et pourtant, Simon est attiré par les expériences mystiques, qui par la suite, se transforment parfois en musique. La semaine dernière, il a raconté à un public à son concert du Holliwood Bowl qui affichait complet, que lors d’un précédent voyage au Brésil, le long du fleuve Amazone durant les années 80, il avait rencontré un Brujo (un chamane mexicain) qui l’avait invité à partager le Ayahuasca – un breuvage psychédélique connu pour favorises des visions spirituelles fortes à propos du sens et but de la vie.

Cette expérience l’a amené à écrire le morceau Spirit Voices (voix spirites) dans l’album Rythm of the Saints (le rythme des Saints).

Some stories are magical, meant to be sung Song from the mouth of the river When the world was young And all of these spirit voices rule the night

Certaines histoires sont magiques, faites pour être chantées Le chant de la bouche du fleuve Quand le monde était jeune et toutes ces voix spirites règnent sur la nuit Spirit Voices (Spotify)


Paul Simon, naturellement sceptique, insiste sur le fait qu’il n’est ni religieux et n’a pas eu d’intérêt pour poursuivre son judaïsme familial au delà de sa Bar Mitzvah (fête religieuse juive qui célèbre le passage à l’âge adulte d’une jeune de 13 ans) il y a plus de 60 ans, et reconnaît qu’il est intrigué par la foi des autres.


Avant que quiconque essaye de le nominer pour le prix Dove (note du traducteur : un prix aux USA qui récompense les meilleurs morceaux d’inspiration chrétienne), Simon rappelle que la plupart des images et allusions spirituelles dans son travail, dont Stranger to Stranger (d’étranger à étranger), ne sont pas choisies intentionnellement et ont plus de chances d’être parlantes pour l’oreille ou l’œil de celui qui le reçoit.


« Je ne pense pas de cette façon, nous a indiqué Simon, vous savez que je crois dans l’aspect (spirituel) de notre nature et je le trouve fascinant. Cela n’a pas changé et cela apparaît dans les morceaux… pour une raison que j’ignore, cette chose passe par moi ou à travers moi ou quoi que ce soit et je l’écris et bien souvent je me dis : « Bon, OK. »

Énumérant ses aventures spirituelles au Brésil, Simon nous a aussi révélé quelques uns des secrets de son processus créatif.


Paul Simon, photo Myrna Suarez

« Cela vient des sons », nous a-t-il dit, « s’il y a quelque chose de mystique au sujet de toute cette expérience, c’est le processus de création des sons, des morceaux. Quand je suis satisfait de la manière dont les morceaux se présentent, ensuite ils inspirent une pensée ou une des paroles ».


Simon se décrit lui-même comme un intermédiaire ou un « réviseur », un médium musical si vous préférez : « J’essaye de rester ouvert à ce que l’univers du son peut offrir, plutôt que d’essayer de me bagarrer pour créer quelque chose qui vient de ma propre vie limitée ».



A titre d’exemple : Le morceau d’ouverture du nouvel album « The Werewolf » doit son nom (et son inspiration narrative) au son qui provient d’un instrument indien appelé un Gopichand : « j’ai cru que cela sonnait comme le mot Werewolf, nous a dit Paul Simon.

La provenance du morceau Street Angel (ange de rue) est encore plus intrigante.


Voilà comment ça s’est produit : j’ai écrit la piste qui correspond au rythme… puis j’ai plaqué dessus un morceau d’un quartet de gospel de la fin des années 30 que j’ai ralenti pour qu’il colle aux harmoniques de la batterie et cela a donné un morceau très lent. Ensuite il l’a joué à l’envers et en écoutant les sons – ce que j’ai entendu sonnait comme « street angel« , j’ai pensé que c’était vraiment fun. Ils me disent ce que je dois écrire ».

Plus généralement, dans son écriture, le son précède les paroles.


Une exception, cependant, ce passage lyrique dans le morceau « street angel », qui dit : It’s God fishing And we are the fishes He baits his lines With prayers and wishes They sparkle in the shallows They catch the failing lignt We hide our hearts like holy hostages We’re hungry for the love, and so we bite

C’est Dieu qui pêche Et nous sommes les poissons Ils pose ses lignes

Avec des prières et des souhaits Elles brillent dans les hauts-fonds Elles attrapent la lumière tombante Nous cachons nos coeurs comme des otages sacrés Nous avons faim d’amour et nous mordons


« Les paroles lui sont venues en premier,avant la musique, » nous a-t-il dit.

Ce que j’ai écrit, c’est « Dieu va pêcher et nous sommes les poissons », le reste, c’est pour finir la rime et l’histoire. Mais il y a aussi la partie à propos d’être « affamé d’amour », j’ai failli écrire « affamé de Son amour » – nous tenons nos cœurs comme des otages sacrés, nous avons faim de Son amour, puis je me suis dit qu’il y avait trop de pronoms possessifs (Son/Ses…) et je voulais éviter trop d’allitérations, a précisé Paul Simon.


C’était une considération sonore, pas théologique ?

"Non, ce n'était pas une question théologique, et de toute façon, ça veut dire à peu près la même chose".


Interview réalisée par Cathleen Falsani pour le site Sojourner. Cathleen est une journaliste

et chroniqueuse primée, spécialisée dans le thème de la religion à l’intersection de la foi et de la culture. https://sojo.net/articles/paul-simons-spiritual-surgery Traduction : Louis Szabo

Photo d'ouverture : Myrna Suarez



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