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Je m'inquiète constamment de la sécurité en ligne de mes filles adolescentes, mais ces menaces ont toujours été de nature externe : cyberintimidation, hameçonnage, etc. Aujourd'hui, les experts en santé mentale signalent une nouvelle tendance : les adolescents utilisent des outils digitaux pour nuire à leur propre réputation en ligne. Ce comportement, appelé "automutilation digitale", inquiète les thérapeutes et les parents.
Le psychothérapeute Tony Sheppard, spécialisé dans les adolescents et l'automutilation, explique que l'automutilation comporte deux aspects : l'aspect physique et l'aspect psychologique. "Dans l'automutilation traditionnelle, nous avons tendance à nous concentrer sur le fait que ce jeune se coupe ou se brûle, et nous ne pensons pas vraiment à l'aspect psychologique de la chose", explique Tony Sheppard.
"L'automutilation digitale n'est pas centrée sur le corps physique en soi, mais sur la psyché de la personne".
"L'automutilation digitale" consiste à publier, envoyer ou partager anonymement du contenu en ligne blessant à votre sujet. Il peut s'agir de publier des commentaires négatifs, d'envoyer des photos embarrassantes ou incendiaires, ou de poster des messages haineux autodirigés.
Dans une étude réalisée en 2019, un élève sur dix a déclaré s'être livré à l'automutilation digitale.
L'automutilation, quelle que soit sa forme, est une découverte dévastatrice pour les parents, qui se demandent souvent pourquoi cela s'est produit. Il existe deux grandes raisons pour lesquelles les gens adoptent ce comportement, explique Mr Sheppard :
- Pour provoquer un changement en eux : La motivation est souvent de se réguler soi-même, explique Tony Sheppard. "Nous savons qu'il y a une libération d'endorphines qui se produit lors de l'automutilation, alors qu'avant un épisode, une personne peut être assez mal régulée sur le plan émotionnel", explique-t-il. "Cette libération d'endorphine a une composante d'autorégulation." Ainsi, si un adolescent est bouleversé par un incident à l'école, par exemple, il peut se blesser pour calmer son stress parce qu'il n'a pas les outils nécessaires pour s'autoréguler de manière saine.
- Pour provoquer un changement dans son environnement : Cela peut être le résultat d'une rupture, de l'intimidation ou d'une autre forme d'interaction négative avec le monde extérieur. "La motivation ici serait d'amener les autres à agir d'une certaine manière", explique Mr Sheppard. Si un adolescent est victime d'intimidation, par exemple, il peut adopter un comportement autodestructeur pour obtenir le soutien ou l'attention des autres.
Alors que l'automutilation physique blesse le corps, explique Mr Sheppard, l'automutilation digitale endommage l'image ou la personnalité en ligne, qui peut sembler tout aussi sacrée.
Il ne s'agit pas seulement d'attirer l'attention…
L'automutilation est souvent considérée comme un comportement visant à attirer l'attention. Un chercheur l'a même qualifié de "Münchhausen digitale" parce qu'il peut avoir des facteurs de motivation similaires à ceux du syndrome de Münchhausen. Dans ce syndrome, un type de trouble factice, une personne simule une maladie pour obtenir l'attention, le réconfort, les éloges ou l'intérêt de sa communauté .
Sheppard prévient toutefois que cette approche de l'automutilation digitale est peut-être trop simple :
"La personne a un besoin qu'elle essaie de satisfaire, et elle pense que se faire du mal est le seul moyen de l'obtenir."
"Il n'y a pas de honte à vouloir de l'attention", ajoute-t-il. "Les gens ont besoin d'attention.
C'est notre travail de thérapeute de travailler avec les gens pour qu'ils recherchent cette attention d'une manière saine."
Cela a résonné en moi en tant que parent. Les jeunes peuvent demander notre aide ou attirer notre attention de tellement de façons. S'ils en viennent à se faire du mal, c'est que des problèmes plus profonds sont en jeu.
L'automutilation digitale peut être difficile à détecter. On le découvre généralement en vérifiant les médias sociaux de l'enfant ou en prenant directement contact avec lui. Cela dit, il vaut la peine d'être attentif à plusieurs comportements qui peuvent indiquer le désir d'un adolescent de s'automutiler - ou même une tendance à avoir des idées suicidaires.
Il s'isole. Il s'agit d'un signe d'alerte pour de nombreux problèmes de santé mentale et il faut y remédier immédiatement. Votre enfant peut se retirer de ses amis, abandonner ses activités parascolaires, quitter soudainement son emploi ou cesser de venir aux réunions familiales. Il est important de noter que le fait d'être en ligne ne remplace pas la vie sociale. Les experts ont constaté que les adolescents et les préadolescents passent plus de la moitié de leur temps devant l'écran à regarder la télévision et des vidéos, et non à se connecter avec leurs amis.
Ils s'auto-sabotent. Mr Sheppard conseille de prendre note si votre enfant "s'isole de sa propre communauté en ligne". S'il fait partie d'une communauté en ligne, a-t-il récemment cessé d'y participer ? Si c'est le cas, il utilise peut-être l'automutilation digitale pour se retirer d'un groupe de soutien.
Ils disent être un fardeau. Un adolescent peut soudainement remettre en question sa place dans la famille ou dans son groupe d'amis, ou commencer à demander à voix haute s'il apporte quelque chose au monde. "Plus vous affichez ces choses négatives à votre sujet, plus vous commencez à les intérioriser comme faisant partie de votre identité", explique Mr Sheppard.
Ils sont confrontés à d'autres problèmes de santé mentale. Les recherches montrent que les adolescents qui s'adonnent à l'automutilation digitale sont plus susceptibles d'avoir été victimes d'intimidation à l'école, de cyberintimidation, de dépression et de consommation de drogues.
Des études récentes montrent un lien étroit entre l'automutilation digitale et les idées suicidaires. Une étude a révélé que les personnes s'adonnant à l'automutilation digitale étaient cinq à sept fois plus susceptibles d'avoir envisagé le suicide et neuf à quinze fois plus susceptibles d'avoir tenté de mettre fin à leurs jours.
Les chercheurs s'efforcent d'en savoir plus sur ce lien, mais il est important d'en être conscient, même si ces études se poursuivent. Si votre enfant s'adonne à l'automutilation digitale, agissez immédiatement.
C'est le pire cauchemar de tous les parents : vous découvrez que votre enfant se fait du mal. Que devez-vous faire ?
- Cherchez immédiatement une thérapie, conseille Mr Sheppard, et pas seulement pour votre enfant. "Je dis toujours aux parents qu'ils auront aussi besoin de l'aide d'un professionnel pour surmonter cette épreuve", dit-il.
- Assurez-vous que le thérapeute est le bon. Il faut parfois un certain temps pour trouver un thérapeute avec lequel votre enfant se sent bien. S'il a eu plus de quelques séances et que votre enfant n'est toujours pas réceptif, vous devrez peut-être essayer un autre clinicien. La plupart des thérapeutes le comprennent et vous aideront à trouver quelqu'un d'autre, éventuellement dans le même cabinet.
- Trouvez un thérapeute qui utilise l'entretien motivationnel (EM), une forme de questionnement qui fait appel à la collaboration, à l'évocation et à l'autonomie pour explorer un comportement et trouver comment le modifier . Elle aide également les jeunes à sentir que leur thérapeute est un partenaire dans leur traitement, et pas seulement un expert qui leur dit quoi faire.
Il n'est pas toujours facile de trouver une thérapie (un annuaire est un bon point de départ). Si vous avez un accès limité aux ressources de santé mentale, Mr Sheppard suggère de vous adresser à l'école ou au centre communautaire de votre enfant. De nombreuses écoles ont un conseiller qui peut vous aider.
Vous pouvez également vous renseigner sur les cliniques gratuites des universités locales. Les étudiants diplômés travaillent souvent avec des membres de la communauté pour acquérir une expérience qui compte pour la certification. Ces étudiants sont souvent supervisés par des thérapeutes chevronnés ou d'autres professionnels de santé mentale.
Enfin, il existe des groupes de soutien gratuits en ligne où vous pouvez trouver des conseils et des ressources, ainsi que d'autres personnes qui peuvent comprendre ce que vous et votre adolescent traversez.
(NDT : ces infos sont valables surtout aux US, voir plus bas ce qui est disponible en France)
Protéger nos enfants des dangers extérieurs est assez simple : Nous pouvons verrouiller les portes, faire respecter les ceintures de sécurité, contrôler les rendez-vous potentiels. Mais les protéger d'eux-mêmes est plus délicat, surtout lorsqu'il s'agit d'automutilation.
Comme toujours, la communication est le meilleur outil dont nous disposons pour découvrir les problèmes et encourager nos enfants à venir nous voir en cas de difficultés. En étant attentif aux signaux d'alarme, en restant à jour sur les médias sociaux et en offrant à votre enfant un espace sûr pour partager ses préoccupations, vous pouvez l'aider à construire le filet de sécurité dont il aura besoin pour gérer sa santé mentale.
A propos de l'auteure
Amye Archer, MFA, est une des rédactrices principales sur le site therapist.com. Elle est l'auteure de "Fat Girl, Skinny" (Grosse fille, maigre) et la coéditrice de "If I Don't Make It, I Love You : Survivors in the Aftermath of School Shootings« (Si je ne m'en sors pas, je t'aime : les survivants au lendemain des fusillades dans les écoles), et son travail a été publié dans Creative Non-Fiction Magazine, Longreads, Brevity, etc. Son podcast, "Gen X, This Is Why", réexamine les médias des années 70 et 80. Elle est titulaire d'un Master en écriture créative (essais) et vit avec son mari, ses deux filles jumelles et divers animaux domestiques en Pennsylvanie.
Informations disponibles en France concernant le suicide :
La ligne du Numéro National Souffrance et Prévention du Suicide (24h/24, 7J/7) : 31 14
Article original : https://therapist.com/behaviors/what-is-digital-self-harm
Traducteur : Louis Szabo
NDT= Note du Traducteur
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